Avec les commémorations entourant le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, une cohorte de publications (romans historiques, études, essais et rééditions de documents d’époque) s’est imposée aux étals des libraires. Le chaland l’a constaté. Comme lui, nous nous sommes un peu perdu parmi cet acharnement votif dont, déjà, se devine l’essoufflement. Toutes ces publications ne se valent pas, loin s’en faut. Et quand bien même elles se vaudraient toutes, l’abondance nuit à la cause.
Nous avons eu, cependant, l’occasion de découvrir – et de signaler en ces pages – une première exception, exception qui, en tant que telle, se distingue (et c’est très peu dire en fait) de la production éditoriale liée peu ou prou à 1914 : Le Chemin du sacrifice de Fritz von Unruh, publié par les éditions La Dernière Goutte.
Considérant que l’exploration était ainsi entendue, nous ne cherchâmes pas plus loin. Et puis, nous découvrîmes une seconde exception, une œuvre iconoclaste et formidablement moderne, passée dans des limbes dont viennent de la tirer les toutes jeunes éditions Prairial.
Cette maison d’édition, au nom calendaire, ouvre le bal d’une nouvelle collection, d’un format à l’italienne, avec la réédition d’un illustré de Lucien Laforge, titré Le film 1914. S’attachant à faire (re-)découvrir des œuvres de la pensée politique, historique et sociale mais aussi littéraires, les éditions Prairial rendent grâce, cette fois-ci, à un illustrateur pacifiste. Dessinateur au Canard enchaîné, Lucien Laforge aura été de ces artistes dont l’œuvre s’épanouit dans un combat politique et humain. Humaniste, dirait-on aujourd’hui en en galvaudant le sens.
Particulièrement novatrices dans la construction graphique autant que dans le sujet, les illustrations de ce moyen-métrage d’une année passée en compagnie de la France du début de la Grande Guerre – petite-bourgeoisie, industrie, clergé catholique, la Chambre,… – ressouvient d’un langage et d’une légèreté qui sont à faire froid dans le dos. Pourtant, c’est bien de cela dont ont parlé les poilus – des quelques-uns qui ont survécu – de la rancoeur pour cet arrière qui a anéanti, sans sourciller, les masses des colonnes militaires, qui a vécu dans sa bêtise crasse et qui, comble du comble, s’en est vanté après.
Sous l’angle technique, le trait épais de Lucien Laforge, ce trait des contours, témoigne d’un art élaboré selon les outils industriels de son temps, selon la faiblesse qualitative de l’impression des journaux, selon ces machines qui tournent à un rythme »épatant », selon ces encres fabriquées à la va-vite, selon ces papiers fins comme de la gaze. Lucien Laforge s’est adapté : le message avant toute autre chose. Du café du commerce à la corbeille de la bourse, de la sacristie au bordel, tous les espaces de la sociabilité d’avant-guerre, tous les lieux d’expression du pouvoir – et la Chambre n’est pas plus épargnée que Poincaré (dit Pincaroué pour l’occasion) – s’exposent dans l’innocence de leur vacuité.
Pingback: So british! | Gaudium Libri